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Le Bureau des Confessions - Chimères et Fragments de Vie.
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4 juin 2004

Nature et zennitude

"Je regarde alentour. On est cernés de troncs d'arbres de la même grosseur, séparés par la même distance, tous aussi hauts et droits les uns que les autres, avec des branches partant toutes à la même hauteur avec la même élégance. Ici, pas de troncs cassés, ceux qui sont pourris gisent sur le sol, sans aucune exception, victimes de la sélection rigoureuse de la nature.
Ici, ni lichens, ni bosquets de bambous-flèches, ni buissons, les larges espaces entre les arbres rendent la forêt plus claire et la vue porte loin. Et, au loin, une azalée d'une blancheur immaculée, élancée et pleine de grâce, provoque un irrépressible enthousiasme par son extraordinaire pureté. Elle grossit au fur et à mesure que j'approche. Elle porte de grosses touffes de fleurs aux pétales encore plus épais que ceux de l'azalée rouge que j'ai vu plus bas. Des pétales d'un blanc pur qui n'arrivent pas à se faner jonchent le sol au pied de l'arbre. Sa force vitale est immense, elle exprime un irrésistible désir de s'expose, sans contrepartie, sans but, sans recourir au symbole ni à la métaphore, sans faire de rapprochement forcé ni d'association d'idées : c'est la beauté naturelle à l'état pur.
Blanches comme la neige, luisantes comme le jade, les azalées se succèdent de loin en loin, isolées, fondues dans la forêt de sapins élancés, tels d'inlassables oiseaux invisibles qui attirent toujours plus loin l'âme des hommes. Je respire profondément l'air pur de la forêt. Mes poumons semblent avoir été purifiés, l'air pénètre jusqu'à la plante de mes pieds. Mon corps et mon esprit sont entrés dans le grand cycle de la nature, je suis dans un état de sérénité que je n'avais jamais connu auparavant.
La brume flotte à un mètre du sol et s'ouvre devant mes pas. De la main, je l'agite en reculant, comme s'il s'agissait de fumée. Je cours un peu à sa poursuite, mais je n'arrive pas à l'attraper et elle m'effleure seulement. Devant moi, le paysage s'estompe. Les couleurs s'effacent, le brouillard monte. Je le vois nettement qui flotte en tourbillonnant.Je recule et me retourne instinctivement pour le suivre. Arrivé sur la pente, je lui échappe, quand je vois soudain à mes pieds une gorge profonde. En face se dresse une chaîne de montagnes majestueuses, bleu pâle, couronnée de nuages blancs. L'épaisse couche de nuage roule en tout sens, mais dans la gorge, seules flottent quelques brumes qui se dissipent rapidement. Ce fil blanc comme neige, c'est un torrent impétueux qui traverse la forêt au milieu de la gorge. Ce n'est certainement pas le vallon que j'ai emprunté pour pénétrer dans la montagne il y a quelques jours. Il s'y trouvait au moins un village et quelques champs cultivés avec un pont de chaînes suspendu très ingénieux, accroché au deux versants. Dans ce sombre vallon, je ne vois que des bosquets épais et de bizarres rochers escarpés, pas la moindre trace humaine. Sa seule vue donne un frisson dans le dos.
Le soleil réapparaît bientôt et illumine la chaîne de montagne en face de moi. L'air est tellement pur, la forêt de résineux au dessous de la couche de nuages offre à cet instant une touche vert foncé si nette qu'elle me force au ravissement. Elle est comme un chant paisible qui monterait du fond des poumons et se répandrait en suivant les ombres et les lumières, changeant de tonalité en un clin d'oeil."

Gao Xingjian, Extrait de La Montagne de l'Ame.

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